Pascal Quignard a construit son dernier roman, « Les escaliers de Chambord », comme un démiurge insaisissable. Il était à Toulouse, en ce jeudi matin, pour un petit-déjeuner de presse au « Grand Angle ». Puis à 18h15, pour une rencontre littéraire chaleureuse en « Trait d’Union », à la librairie « Ombres Blanches », à l’heureuse initiative de son directeur Christian Thorel. Celui-ci après un bref résumé du roman, sut ouvrir le champ aux questions de la cinquantaine de personnes présentes et attentives. Il qualifia le roman de mortifère, de déconcertant, au style heurté, empreint de certaines approximations et s’en expliqua… à mon sens, qu’en est-il ? *
« Édouard Furfooz, courtier en miniatures rares, en bibelots, jouets… un farouche collectionneur, est un homme-enfant qui accumules des trésors. Un mur d’incommunicabilité, une muraille d’objets s’est construite entre lui et les autres. Une véritable digue pour endiguer un flot aveugle ! Le flot des réalités. Cet aveuglement maniaque est le signe d’une fêlure. Une étrange forme d’autisme ! Édouard souffre dans son âme d’une blessure ancienne. Un jour, il ramasse dans un dépotoir une barrette en forme de grenouille. Le quotidien se détraque, surgit le fantôme d’une fillette. Qui est-elle ? Son existence, dès lors, est filigranée par cette quête. Il sèmera le désordre moral et le doute autour de lui. Ses amours seront funestes, ses amitiés dangereuses. Folies, suicides. Guerres de conquête, argent, haine et illusion. Famille, amours, amitiés. Comme un western, comme épopée islandaise. Mais quoi donc Édouard veut-il trouver ? Sa voracité est insatiable. Un regard vers l’intérieur le conduira jusqu’à sa propre sauvegarde… par une renaissance. »
Roman trouble et dérangeant, certes… car pouvant se lire à divers degrés. Pascal culbute les poncifs. J’ai eu l’impression d’une urgence dans la narration. Incongruités, facilités, affectation dans le style ? Non, le malaise vient d’ailleurs ! Je me suis retrouvé ensorcelé au fil des pages. Soudain, en moi, un déchirement…une certitude dont je ne peux me départir : l’auteur a écrit ce roman comme s’il devait mourir bientôt, comme un testament crypté ! Mysticisme ou intuition ? Peut-être l’extravagance ? Je ne sais… Le malaise viendrait-il de cette interrogation qui transparait sur l’omnipotence de la Mort, sur les vanités de la vie, sur le dérisoire ? La compassion m’étreint… Et toute la beauté de l’œuvre m’apparaît dans sa criante nudité, les horizons en sont insondables, tragiques. Une magie s’est opérée et a transfiguré ma lecture jusqu’à la fin… En effet, le roman est dérangeant car tout est à l’excès, foisonnement d’objets et de sentiments, d’odeurs et d’images. L’érudition en contre-point ! Hors des frontières et des normes. La performance est là… Il a osé écrire sans craindre d’être trop élitiste. Sans aucune complaisance – il n’est plus temps si ce temps est compté – il a endossé l’habit de l’expiateur. Pour expier de tous les conformismes en écriture… il a osé braver le verdict de ses pairs en écriture : outrecuidance et ostentation.
Apostrophes, émission littéraire du Jour de l'An 1988. |
« Les escaliers de Chambord » par Pascal Quignard chez Gallimard, 325 pages, 98 francs.
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