Montage photo © Jocelyne Rotily |
Clare, féline, belle, et ambitieuse, affligée d’une enfance malheureuse, n’a pas hésité à courir ce risque, allant jusqu’à épouser un homme fabuleusement riche mais aussi viscéralement raciste qui ne sait évidemment rien de ses origines.
Douze ans se sont écoulés avant que la destinée ne les réunisse. Irene, de son côté, a choisi de vivre dans la communauté noire, et s’est construit une vie familiale bourgeoise dont elle veille jalousement à préserver la sécurité.
Au contact d’Irene, Clare rêve soudain d’un retour parmi « les siens », et demande à Irene de l’aider à « repasser de l’autre côté ». Séduite par le charme de Clare, et répondant à un esprit de solidarité raciale, Irene accepte de l’introduire dans son monde.
Mais, le retour de Clare va bouleverser leur vie de façon tragique…
Nella Larsen in 1928 |
La vérité sur sa « disparition » est non moins tragique. En 1930, à la publication d'une nouvelle littéraire, Sanctuary, son troisième titre, on l’accusa de plagiat et elle fut salie, à tort, par un procès... injustice dont elle se remit jamais, son mariage en fut détruit. Mrs. Adis, le récit de quatorze pages, publié en 1919 au Royaume-Uni par Sheila Kaye-Smith, écrivain régionaliste anglaise alors en vogue à New-York, était court et bien beau, se situant dans un décor de lutte des classes : Peter Crouch, entrain de braconner dans le bois d'un châtelain du Sussex, fait feu pour protéger sa fuite dans la nuit obscure sur un homme qui accompagne les gardes-chasse et demande l'asile pour la nuit à Mrs Adis, une femme qui comprend son geste. Celle-ci s'avèrera être la mère de Tom, sa cible, son ami d'enfance qu'il n'avait pas reconnu dans cette nuit sans lune... elle lui tourne le dos, pour aller se recueillir auprès du corps de son fils, le laisant seul avec ses remords, face à son destin puisque il a été confondu par les gardes-chasse.
En fait, Nella avait remis l'histoire bien simple de Sheila dans un contexte résolument plus moderne et délibérément plus politique, en pointant du doigt la condition des noirs américains tout en faisant preuve d'un style infiniment plus riche, inventant une langue phonétique contrefaisant l'accent des noirs qui maltraitaient l'anglais, même si le canevas est semblable d'une façon presque dérangeante : Jim Hammer, un afro-américain s'étant essayé à voler quelques pneus dans le garage d'une usine, a tiré en s'enfuyant sur quelques ouvriers qui l'ont effrayé. A-t-il tué un blanc ou un nègre, il n'en sait rien, répond-t-il à Annie Poole, en lui demandant asile pour la nuit. Elle ne dira pas sa présence au shérif venu lui apporter la dépouille de son fils Obadiah, abattu par un voleur fugitif qu'il jurera vouloir pourchasser sans relâche avec ses assistants car le meurtrier a été confondu par une casquette appartenant à un dénommé Jim Hammer. Annie chassera le coupable devenu indésirable dans son logis en l'exhortant à remercier Dieu de lui avoir donné une peau noire comme la sienne, ce qui l'incita à tenir sa parole, à rester muette...
Sheila Kaye-Smith s'était elle-même inspirée d'une histoire écrite par Saint François de Sales (1567-1622) comme elle le confiera, en 1956, dans ses mémoires, All the Books of My Life.
Aucune preuve de plagiat n'ayant été établie, Nella Larsen put donc être la première femme afro-américaine à recevoir une bourse de la Guggenheim Foundation; bourse qu'elle utilisa pour voyager en Europe, sur l'île de Majorque puis à Paris. Elle y travailla à un troisième roman qui ne sera jamais publié. En 1933, après un divorce douloureux, de retour à New-York, Nella abandonna alors et pour toujours sa carrière d’écrivain. Mariée depuis 1919 à Elmer Imes, éminent Docteur en Physique, un authentique intellectuel noir américain qui travaillait à la Bibliothèque Publique de New-York (NYPL)... elle sera désormais Nella Imes ou Nella Larsen Imes. Elle vivra de la pension alimentaire versée jusqu'à son décès en 1942, par son époux, connaîtra des problèmes de santé liés à la drogue et à une dépression puis reprendra le métier d’infirmière qu’elle avait exercé dans sa jeunesse, entre 1915 et 1918 avant d'être devenue bibliothécaire et disparaîtra volontairement des cercles littéraires, résidant dans le quartier du Lower East Side. Le 30 mars 1964, elle mourra seule, dans son appartement de Brooklyn, ayant fui ses anciens amis et le monde, oubliée de tous, sans jamais être retournée dans Harlem alors que naît le mouvement des droits civiques... elle avait 72 ans.
Son œuvre inspira, des années plus tard, les grandes figures de la littérature noire américaine dont Toni Morrison et Alice Walker, auteur du célèbre « Color Purple », adapté à l’écran par Steven Spielberg, qui a écrit : « Quicksand et Passing sont des romans que je n’oublierai jamais. Ils m’ont ouvert tout un monde d’expérience et de lutte qui me parurent, à l’époque où je les lus, absolument captivant, fascinant et indispensable ». Son œuvre a été soutenue également par Joyce Carol Oates qui écrivit à propos de Quicksand et Passing : « Cette série est une contribution ambitieuse, passionnante et hautement précieuse pour la réhabilitation de la littérature féminine tombée dans l’oubli. Avec Passer la ligne (Passing), Nella Larsen, nous entraîne dans un thriller psychologique captivant avec pour toile de fond l’Amérique du Harlem Renaissance.
Traduction de l'américain par Jocelyne Rotily.
ISBN : 2-9524259-2. Format 14 x 20,5 cm. 202 pages.
Prix : 19,00 € TTC.
En 1998, elle publie ainsi un essai intitulé Artistes américains à Paris, 1914-1939 (Paris, L'Harmattan, 1998) dans lequel elle examine le rôle joué par Paris et son avant-garde artistique et littéraire dans la naissance d'un art typiquement américain. En 2003, elle participe à la rédaction du catalogue d'exposition : Paris, Capitale de l'Amérique, exposition organisée par le musée d'Art américain de Giverny (publié en France par les Editions Adam Biro, et aux Etats-Unis par l'Université de Californie). Elle publie chez ACFA : "Au Sud d'Eden, des américains dans le Sud de la France," essai relatant la vie et l'œuvre des artistes et écrivains américains venus séjourner et créer dans le Sud de la France entre 1910 et 1940.
Son travail de recherche a été soutenu par des institutions et écoles de renommée internationale dont : la Fondation Roberto Longhi à Florence, l'École de Rome, la Fondation de France et Sachs (à Harvard), la Smithsonian Institution (Washington D.C) et le Conseil Régional PACA.
Elle est aussi l'auteur de plusieurs articles parus dans des revues d'art et de littérature : L'infini (Gallimard), Critique (Éditions de Minuit), la Gazette des Beaux-Arts et les Mélanges de l’École Française de Rome.
Elle est aussi l’auteur de plusieurs articles parus dans des revues d’art et de littérature : L'infini (Gallimard), Critique (Editions de Minuit), la Gazette des Beaux-Arts, et les Mélanges de l’Ecole Française de Rome. Quelques titres en guise d’exemples : « Politique des musées du Luxembourg et du Jeu de Paume face à l'art américain : Histoire de deux grandes expositions dans le Paris de l'entre-deux-guerres », Gazette des Beaux-Arts, Novembre 1997, tome CXXX, pp. 176-189. ; « Drieu La Rochelle et Van Gogh », L'Infini, Paris, Gallimard, Hiver 1990, N° 32 ; « Bernard Berenson et Marcel Proust », Gazette des Beaux-Arts, Janvier 1990 ; « Louis-Ferdinand Céline et les peintres de l'horreur », Critique, Paris, Éditions de Minuit, Octobre 1989, Vol. XLV, N°509. Article publié également dans Le Bulletin célinien février 2005, N°261 ; « Bernard Berenson et les historiens d'art français (1920-1940) », Mélanges de l’Ecole Française de Rome, Vol. 97-1985-2, pp. 961-989.
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