Un ovni dans le ciel…
Michel Field est à l’écriture ce que le Béluga, pour certains, est au caviar. Le nec plus ultra ! Mercredi dernier, il était l’invité d’Ombres Blanches pour une signature. Où cela ? Au restaurant « Mille et une Pâtes », rue Mirepoix, bien sûr… Sympa !*
Article et entretien publiés le 26 décembre 1989, dans « Le Journal de Toulouse ».
Patrick Besset : Ce roman n’est-il pas une immense plaisanterie, un gigantesque canular ?
Michel Field : Je voulais faire raisonner ou travailler en métaphores, avec le type de plaisirs qu’on peut avoir quand on cuisine. Une sorte, comme ça, de plaisir du toucher, le plaisir des odeurs, etc. Je ne voulais pas que le travail d’écriture soit extérieur à son objet lui-même. C’est donc un livre de cuisine littéraire. Il y est beaucoup question de la cuisine de l’écriture et de tout ce que l’écriture contient de plaisirs. Il y a chez moi une nécessité de jouer sur la dérive des structures, sur les développements.
P.B. : L’omniprésence des sons… te relis-tu à voix haute lorsque tu écris ?
Michel Field : C’est curieux, car c’est très important, il y a une grande importance donnée aux assonances… alors que je ne lis jamais mon texte à haute voix. Je dois donc avoir une voix intérieure qui résonne fort, dans le même temps que j’écris. Je suis fasciné par la voix qui m’intéresse comme problème philosophique. Pour moi, la pâte des mots est aussi la pâte des sons, c’est aussi tous les jeux d’évocation et d’assonances.
P.B. : Il m’a plu de voir que tu utilises à chaque fois le juste mot, très pointu, sans craindre de faire achopper le lecteur.
Michel Field : Pour moi, le métier dont je me sens le plus proche, peut-être parce que je suis très infirme de mes mains, et pour lequel j’ai une admiration absolument totale est celle d’ébéniste. Un métier d’artisan, avec des exigences. Si le mot n’est pas connu par mon lecteur, je suis content qu’il puisse aller vers le dictionnaire. C’est une dérive, un plaisir supplémentaire, ce ne doit pas être gênant pour le lecteur… juste une voie d’accès royale au dictionnaire, qui est peut-être le plus beau des livres.
P.B. : Les pages étranges que le lecteur découvrira… c’est une volonté de de révolutionner la façon de narrer ?
Michel Field : C’est pour casser l’habitude ou la connivence qui peut exister entre le lecteur et son auteur. C’est une façon de rappeler le lecteur à l’ordre… Rien ne me déplaît plus que le confort de lecture, quel qu’il soit ! Chaque livre que je lis est comme une aventure, j’ai envie qu’on me trouble, qu’on me propose des chemins de traverse, plein de ronces. J’ai utilisé la grève du narrateur, la page blanche, le jeu des signes, des fausses pistes… j’ai écrit ce livre comme un livre que j’aurais voulu lire !
P.B. : Au début du chapitre III, des pages folles m’ont fait éclater de rire. J’ai été obligé d’interrompre ma lecture… pour souffler, avant de reprendre le court du récit. Le roman n’aurait-il pas dû commencer là ? C’est dingue de parvenir à tenir le lecteur en haleine avec une telle force pendant ces soixante-treize pages !
Michel Field : J’ai voulu saturer le récit jusque là… afin de provoquer une rupture. C’est un effet de contraste. Je pense à une chose, là… en te répondant. Il y a eu un très, très beau film, fait sur le tournage de « Fanny et Alexandre » de Bergman. Il dirigeait les enfants et les adultes en leur demandant de moins jouer par moment ; il leur disait qu’il ne fallait pas avoir peur de moments plus plats, apparemment moins signifiants. Ces moments étaient importants… C’est une image qui est très présente. J’avais envie d’engager le livre sur une fausse piste, qui n’en est pas une tout à fait. L’intrusion, vraiment en rupture, de Lombardi. Je voulais VRAAAAAIMENT qu’elle fasse péter un truc ! Et je pense que ça aurait perdu de cette force, du moins c’est le pari que j’ai fait, si j’avais eu besoin d’un peu de plat, avant de poursuivre…
« L’homme au pâtes » par Michel Field, chez Bernard Barrault – 311 pages, 120 francs, soit 28,30 francs les 100 grammes.
Quand Michel Field se présente à nous... campionissimo, al dente !
Chez « J'ai Lu » sous le n° 3825.
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