« Tous les matins du monde », un roman que le jury du Prix Goncourt a dédaigné lors de sa publication comme il avait boudé en 1986 son étourdissant roman « Le Salon du Wurtemberg » et feint d'ignorer en 1989 la parution du merveilleux roman « Les Escaliers de Chambord »...
Le pire fut quand j'appris, en 1991, que les professionnels du cinéma attribuèrent à l'adaptation de « Tous les matins du monde » le Prix Louis-Delluc, communément appelé le Goncourt du cinéma. Piètre prix de consolation pour l'écrivain et honte au microcosme littéraire germanopratin !L'année suivante, le film était récompensé de sept statuettes de César, chacune largement méritée. En 2002, piteusement, il sera enfin concédé ce Prix Goncourt à Pascal Quignard...
mais il nous fallut entendre les cris d'orfraie de certains membres de l'académie qui avaient protesté. Contentement passe richesse ?



Le film quant à lui, fut un époustouflant moment de bonheur... la photographie y était ahurissante de beauté. Et la lenteur hypnotique des scènes, de la musique magnifiquement interprétée par Jordi Saval sur une viole de gambe, m'ont littéralement scotché à mon fauteuil. Carole Richert était espiègle, Anne Brochet d'une incroyable présence devenant évanescente, Jean-Pierre Marielle carrément sublime et le père Depardieu, très justement arrogant tout autant que justement assez bouffi et fat dans son rôle de composition du musicien vieillissant torturé par ses remords. Guillaume, jeune premier que j'ignorais être le vrai fils dans la vrai vie de ce Marin Marais vieilli, torturé par le remords, tel un ange noir, suscita l'empathie des spectateurs. Et je n'eus de cesse durant quelques semaines de rameuter la foule des amis devant le grand écran, les ayant précédemment harcelés sans vergogne jusqu'à ce qu'ils acceptent de lire ce roman superbe dans sa brièveté, dans sa concision. Un pur chef d'œuvre ! Par prosélytisme forcené, je crois me souvenir l'avoir acheté à plusieurs reprises pour l'offrir à ceux qui hésitaient encore à se laisser convaincre...Guillaume, presque encore adolescent, emplissait l'écran à chacune de ses répliques, totalement en harmonie dans son jeu d'acteur, montrant une facilité déconcertante qui me tira des larmes, devant un Sainte-Colombe quasi divin, un Jean-Pierre Marielle habité par la grâce. Guillaume résonnait à l'unisson de la musique, tel un diapason...
Vous l'aurez compris, ce film est pour moi autant précieux qu'est indispensable la possession du roman dans ma bibliothèque... j'ai déposé dans mon panthéon artistique personnel le roman et la cassette VHS, que j'offris à une amie peu après après en avoir acquis le DVD.
Je fus par la suite quasiment rendu obsessionnel à suivre le parcours d'Anne Brochet, à la raphaélique beauté, et celui de ce Guillaume ahurissant que j'avais alors deviné être destiné à une gloire certaine mais en aucun cas, je ne lui avais prêté un destin d'Icare. Comme tant d'autres, je fus écorché devant la litanie de ce qui me sembla être de stupides frasques et des excentricités excessives, ignorant tout de sa souffrance, de son périlleux chemin de vie... je devinai plus tard, au détour de bribes scabreuses livrées en pâture par la presse scandalisée et la presse à scandales, que l'acteur bravache et l'homme fougueux devait cacher une âme torturée, que les propos incohérents entendus à la télévision devaient être ceux d'un artiste génial criant une faim sans fin d'un amour paternel trop chichement offert ou trop maladroitement tu.
Et au fil des années, au fil de sa jeunesse qui s'érodait, j'osais croire pour lui en une rédemption, en un droit reconquis de vivre enfin heureux, reposé, en paix recouvrée.Je n'avais pas imaginé un seul instant que le plus beau des tombeaux est le coeur des amis comme l'a dit Sénèque et tel que le rappelle Pascal Quignard...
Trop tôt, je suis contraint d'accueillir Guillaume Depardieu dans le mien, pour le reste de mes jours à vivre. Séchons nos larmes... à trop ourler sa conscience devant l'immanence, on court le risque de découdre sa raison...Et tous les matins du monde... sont sans retour.
- Voici un extrait du long entretien du 26 mars 2010 accordé par Alain Corneau à Geneviève Winter et Caroline Dinet, sur la relation entre le cinéma et la littérature... et publié dans « Tous les matins du monde - Pascal Quignard / Alain Corneau », collection « Connaissance d'une œuvre », Bréal.
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