Merci, Madame… *
* Article publié le mercredi 26 juin 1989 dans le quotidien régional « Le Journal de Toulouse ».
Edmée est née à Paris où elle apprend la peinture avec Levy-Dhurmer, elle publie ses premiers livres en 1926. En 1927, elle commence une campagne féministe et dirige le journal « L’Union nationale pour le vote des femmes ». Elle écrit multitude de poèmes, certains sous le pseudonyme de Gilbert Mauge et donne de nombreuses conférences littéraires en Europe, en Amérique du Sud, aux États-Unis, au Canada, en Afrique de la langue française, au Japon, en Turquie, etc. Elle sera membre du jury Fémina en 1944, membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature Française de Belgique en 1962, co-directeur de la « Revue de Paris » de 1960 à 1969.
Dans « Pluralité de l’être » (Gallimard, 1957), alors que nous nous croyons singulier, Edmée nous montre au pluriel nos incohérences, les personnages complexes qui composent notre théâtre intérieur, avec une lucidité étrange admirablement servie par une érudition jamais ostentatoire…
Avec « Stupeurs » Grasset, 1972), elle nous entraîne dans une réflexion sur le regard d’Autrui, sur notre comportement dicté même par le jugement de l’Autre, ce même Autre pouvant être à l’occasion nous-mêmes, personne n’échappant au rôle de spectateur…
« L’angoisse et les écrivains » (Grasset, 1974) lui permet de décortiquer le processus de création littéraire chez Paul Valéry qui fut son ami, chez Marcel Proust et chez Molière, trois grandes victimes de l’angustia. Elle y fait montre d’un grand art littéraire !
« De l’ennui » (Grasset, 1976) nous mène, après une étude sémantique, à nous interroger : l’ennui n’est-il pas le propre de l’homme ? Tous en ont parlé, tous l’ont connu. Certains l’affectionnaient, d’autres l’abhorraient mais tous ont eu, un jour, à le vivre. Edmée a cueilli, crayon à la main – du moins c’est comme cela que je l’imagine -, mûrs à point, des bouts de poésie, de courtes citations, de splendides extraits d’auteurs qui se sont épanchés sur le sujet. L’homme ne se donne-t-il pas des buts, des occupations, toute sa vie durant pour uniquement surseoir à l’ennui qui viendrait sinon, morose comme un linceul ?
En lisant « L’acquiescement » (Grasset, 1978), nous sommes conduits à nous interroger sur l’acceptation de notre propre sort, de notre destin, sur nos aspirations illusoires, sur les fois innombrables où nous disons « Oui ! ». Elle écrit là sur un ton doux-amer et met en exergue nos vanités et nos goûts convenus, nous faisant douter jusqu’à l’utilité de la vie en évoquant un thème qui lui est cher : l’obsédant changement…
Indubitablement lectrice insatiable, elle illustre ses textes d’une qualité rare, de fragments empruntés à un riche Panthéon. Elle jongle ainsi avec l’attention du lecteur, jouant de leur complicité tacite pour mieux signifier le fond de sa pensée…
Pour en arriver à « Courts Métrages » (Grasset, 1970) et « Courts Métrages II » (Grasset, 1980) où elle narre délicieusement de chères rencontres. Caméra au bout de la plume, elle nous invite à revoir, réentendre des écrivains notoires, des savants, des personnalités attachantes. Rencontres aimables, la courtoisie est de mise et l’affection au bord des mots. Elle fait apparaître les lieux, les senteurs et les lumières comme par enchantement. De véritables reportages littéraires…
Dans ses ouvrages d’une prose irréfutable, elle fait œuvre d’anthropologie littéraire. Moraliste et philosophe, tour à tour, elle décline, avec un savoir encyclopédique et à tous les temps du passé, du présent et du futur, le verbe « aimer »… pour dire son grand amour de la littérature, de l’écriture et des écrivains. Elle vous inoculera un virus, en voyageant, celui de la lecture-plaisir. Allègrement et sans affectation, le choc des mots, le poids des idées.
On parlait du plaisir de la table, elle nous apprend qu’il existe aussi celui, simple mais combien voluptueux, de LIRE... Merci Edmée ! Patrick Besset.
Edmée nous a quittés le 20 septembre 1991, offrant la possibilité à un écrivain de se faire remarquer pour son premier roman, grâce à l'attribution, depuis 2000, d'un prix littéraire qui porte son nom.
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