Jean-François Josselin... ce nom réveille chez vous quelques souvenirs si vous lisez chaque semaine "le Nouvel Observateur". Il était un de ses chroniqueurs littéraires, en devint le conseiller littéraire puis un des rédacteurs en chef adjoint, il y a peu. *
* Article publié le mardi 26 septembre 1989 dans le quotidien régional « Le Journal de Toulouse ».
Son ton espiègles émerveilla mes 18 ans, j'étais alors abonné à l'hebdomadaire. Je voulus le mieux connaître... je découvrais le peintre d'un univers doux-amer, désabusé et effronté, triste et fantaisiste. Étrange ! Son roman "Quelques jours avec moi" Chez Grasset... délicieux ! Je cherchais mieux et achetais "Quand j'étais star" sous la même couverture, paru précédemment... admirable ! Plus près de nous, citons "La mer au large" chez Gallimard... enivrant ! J'attends que passe le temps pour acquérir et lire, plus au calme, son dernier bébé que l'on dit cruel et vivant tout à la fois, inspiré par Thanatos :"Après la nuit, la nuit", un recueil de nouvelles.
Je voudrais aujourd'hui vous parler plus longuement du roman qui obtint en 1982, le Prix Médicis... "L'Enfer et Cie".
"Je déteste le whisky. J'acquiesce avec politesse. Elle doit en être à son dixième verre". Le ton est donné... sans préambule. L'alcool ! Sous la protection du whisky, dans un bar américain super snob où ils ont leurs habitudes, chaque soir, B. et Mme Foy échangent leurs délires. B. s'inquiète de la santé vacillante de Cécile, sa femme. Mme Foy fût hôtesse de l’air ; elle se voit fuie par son mari, commandant de bord que son ivrognerie répugne. Martial, le serveur sentencieux, est le complice du trio, bientôt quatuor par la force de la présence des deux conjoints absents. Mme Foy et B. analysent et légitiment la nécessité de leurs ablutions rituelles. C’est en fait l’alcool qui parle par leur bouche… Fantasques, ils racontent sans fard, l’horreur de leur vie sous l’esclavage du poison… l’abject côtoie le pitoyable. Hésitations et renoncements, nihilisme pervers, égotisme mondain et forcené que l’ivresse exacerbe. Promesses, vaines et veux d’abstinence, trucages et mensonges… Le ton est drôle ou grave ; le lecteur devine la détresse. Cécile bientôt emportée par une leucémie, B. hagard, endossant l’habit de la culpabilité, part alors à sa recherche, persuadé qu’elle ne peut l’avoir abandonné. Les lettres pour Mme Foy qu’il confie à Martial nous tiendront au courant de ses attentes, de ses obsessions, de ses joies. Où est-elle ? Chez qui se cache-t-elle ? Réincarnations ou métempsycoses… Cécile réapparaîtra sous les traits de différents Autres. Tour à tour certains passants, Philomène Rateau, une chatte tigrée, un militaire entr’aperçu, la prostituée noire d’un peep-show, un couple d’escrocs. Delirium tremens ? Anéantissement ? B. en viendra à ne plus voir son reflet dans le miroir. Le jour où il capture Cécile, il fait vœu de sobriété pour ne pas la tuer une deuxième fois car Cécile est en lui. Il est ELLE ! Substitution ultime, soubresaut de folie ? Par une étrange mutation, Mme Foy dans le même temps devient LUI… mais gare !
Jean-François semble écrire avec une pointe feutre tant le ton est « soft ». Pourtant terrible est cette recherche manichéenne de l’être aimé, à travers les brumes de l’alcool. Avec un brio étincelant, ce qui aurait pu n’être qu’une bizarre balade se mue en une engloutissante errance. Il faut s’accrocher aux pages pour ne pas tituber…
Jean-François a le talent de vous rendre mal à l’aise, de vous faire partager l’angoisse sourde de ses protagonistes jusqu’aux affres éthyliques les plus aigües et ce, sans faire de prosélytisme. Le plus surprenant est que malgré la gravité voire la tristesse qui coule des pages, l’on se surprend à sourire. Sur un registre voisin, Anthony Perkins dans « Psychose » n’est pas loin de B.
Jean-François m’a fait confidence au téléphone avoir réécrit « L'Enfer et Cie » pour le théâtre. Marcel Maréchal montera la pièce à la rentrée… mais chut ! Les acteurs pressentis n’ont pas encore signé. J’ose espérer que le succès de la pièce sera à la hauteur du plaisir que j’ai eu à lire le roman. Patrick Besset.
« L'Enfer et Cie » par Jean-François Josselin chez Grasset (1982) – 193 pages, 49 francs.
Jean-François Josselin nous a quitté le 2 avril 2003, à Brest. Il avait 64 ans...
En octobre 1990, Marcel Maréchal créa la pièce de théâtre, à La Criée de Marseille... Françoise Fabian et Marcel Duchaussoy en furent les interprètes. Et j'ai gardé longtemps, pieusement, le billet qu'il m'envoya en réponse aux questions de l'écrivain en herbe que j'étais à 18 ans... il me proposait de venir faire un bout d'essai au Nouvel Observateur et parce que Rastignac n'est pas mon oncle, je n'avais pas osé quitter les bancs de la faculté pour "monter" à Paris. Certains appellent cela un rendez-vous manqué... à quoi tient la vie ?
Jean-François Josselin répond à l'interview vérité de Thierry Ardisson dans "Lunettes noires pour nuits banches", 1989.
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