Marcel Bozzuffi... Forfana ! *
* Article publié le samedi 24 février 1990 dans le quotidien régional « Le Journal de Toulouse ».
Françoise Fabian : rappelle-toi "Bozzu" |
Marcel Bozzuffi ! Bizarre, sans jamais avoir été au rang des stars, l'acteur m'apparaît comme une figure mythique du cinéma français tant son visage est vivant dans ma mémoire. Simplicité cordiale, il est là, tout près... Peut-être n'a-t-il jamais voulu de cet habit de lumière ?
Dans l'intimité, il racontait des histoires avec des airs de père tranquille. Françoise Fabian, dans la préface qu'elle signe, décrit la scène... L'anecdote ressemble à une mise en scène à la Renoir. Devant la fugacité de ces instants, elle persuade le mari volubile de se muer en homme de plume. Il se range au désir de la Raison.
Forfana
« Mon oncle Alfred était sûrement l'un des meilleurs toupilleurs de Paris », écrit Bozzu. Alfred, artiste ébéniste, est un homme amoureux fou de son métier. Amoureux comme tous les ouvriers du bois, immigrés italiens qui travaillent, transpirent, s'échinent à la tâche dans tous ces petits ateliers qui pullulent dans ce cœur du meuble français.
Après la victoire d'Ottavio Bottechia dans le Tour de France d'avant-guerre, il était en ces temps là un dénommé Marcello Bertone, un italien dont la volaille avait fait la fortune. Il était aussi son frère Antoine, cafetier de la Place Aligre, dans ce quartier, à cheval sur la rue du faubourg Saint-Antoine, planté d'arbres et qui ressemble à un village provincial. Ces deux là, joueurs invétérés, amoureux des trotteurs de Vincennes, amoureux de Talisman - le crack que Marcello venait d'acquérir - aperçoivent ce matin-là Guiseppe Forfana, un homme de peine, un piémontais de Caprice, un sac de farine sur les épaules. Incroyable pari : défier le pauvre hère de charrier sur son dos, un sac de cent kilos depuis la Bastille jusqu’à Nation. Une pièce d'or, un Napoléon sera l'enjeu de ce pari misérable.
Forfana effectuera ce parcours comme un clavaire. Derrière lui pour le soutenir, l'encourager... tout ce peuple d'italiens en exil qui, durant quelques heures chômées, verront en lui leur champion. Il sera l'esprit de la revanche, l'esprit de l'honneur recouvré en effaçant les amertumes rentrées. Horace des années Trente, un vainqueur !
Bozzu nous offre là un conte moderne d'une facture superbe, époustouflant par l'émotion qu'il suscite chez son lecteur écartelé. Chaque mot vient pile comme le morceau d'un puzzle. Une merveille de réalisme qui prendra la couleur – pour le lecteur plus attentif – d'une fable populaire dont la morale est teintée d'espérance.
Le vélodrome
Bozu a dix ans. Il a un pote, Olivier Bélier dit Olive, dit Popeye. Tous deux sont nés sur le même palier de la même maison. Même enfance, mêmes rêves, mêmes copains, il sont complices... Même amour pour la petite reine, pour les « vainqueurs, couverts de boue, méconnaissables, au regard de hibou, semblables à ces chauffeurs de locomotive, lunettes sur le front, photographiés à l'arrivée des grandes lignes » (sic).
Un jour, ils volent deux vélos. Or, la Préfecture a ordonné leur réquisition... La colère du père Bozzuffi clate. Injonction est faite aux deux larrons de conduire ces « véhicules » au Vélodrome... là-même où les bicyclettes, les tricycles, les triporteurs, les tandems et tant d'autres carcasses empilées par la grue sont comme une montagne de ferraille.
Le vélodrome est désert en ce début d'après-midi. Une envie oppressante tenaille les deux gamins : disputer, pour la gloire, un Grand Prix de vitesse. Soudain, ils enfourchent deux bécanes...
Rue Cimarosa, s'il vous plaît
Où... lorsqu'on est acteur, alors qu'un film de Granier-Deferre dont vous êtes le héros est passé, la veille, à la télévision, il est étrange de rencontrer un chauffeur de taxi insomniaque, marié à une dormeuse, qui, pour gommer sa vie terne, s'identifie pleinement aux héros de cinéma...
Avec un sens aigu de la chute, Marcel Bozzuffi était un authentique conteur – pour preuve, chaque fin de chapitre... Merveilleux ! Car trop rare en notre époque où tout un chacun ne sait qu'entendre sans plus savoir écouter. Mieux encore ! Il était un écrivain rare. Il savait de façon innée, camper un personnage pour nous le rendre attachant, drôle ou émouvant. Ces trois récits sont comme des travaux d'orfèvrerie, singulièrement peaufinés, riches d'un immense pouvoir d'évocation. Bozzu devait être sacrément sensible pour percer à jour, avec une telle acuité, les gens qu'il croisait, pour les faire revivre avec tant de vigueur. Il décrivit un Paris, en noir et blanc, à la Doisneau. Un régal pour les gourmets ! Il en arriva à vous rendre – ce fut mon cas – nostalgique d'un passé que vous n'aviez pas connu. N'est-ce pas cela l'art d'écrire ou plus précisément le don ?
J'en viens à maudire le destin qui m'oblige à parler de lui au temps du passé alors qu'il m'aurait plu d'user du présent voire du futur de l'indicatif, pour un autre texte. Comme un chaînon manquant entre une littérature d'hier et celle de demain...
Merci Bozzu pour cette petite heure sublime de lecture ! Patrick Besset.
« Forfana - Récits » par Marcel Bozzufi chez Alinéa, à Aix-en-Provence, 140 pages - ISBN : 9782904631917 - 74 francs.
Né le 28 octobre 1929, à Rennes, Marcel Bozzuffi est décédé à Paris le 1er février 1988, à l'âge de cinquante-huit ans, des suites d'une hémorragie cérébrale et repose au cimetière du Montparnasse..
Dernière heure :
• Établies à Aix-en-Provence tout d'abord au 5 de la rue du Félibre Gaut puis au 22, rue Victor-Leydet et dirigées par Diane et Jacques Kolnikoff, les éditions Alinea ont aujourd'hui cessé leurs activités. Dès 1985, elles avaient contribué à faire découvrir au public francophone l’œuvre de Christa Wolf, l'écrivain la plus célèbre de l'ex-République démocratique allemande et en 1986, la première traduction par Jeanne Stern de « Transit », avec une aide de l'Office Régional de la Culture PACA... roman d'Anna Seghers évoquant le monde des parisiens et des provinciaux de la France entière réfugiés à Marseille, en attente des moyens d'une fuite durant les premières années du deuxième conflit mondial.
Il sera facile à tout lecteur pugnace de trouver sur la Toile le bouquin de Marcel Bozzuffi car... à cœur vaillant, rien d'impossible !
• À Toulouse, la librairie Castéla, fondée en 1917 par une nordiste, Ida Castéla, véritable monument patrimonial local sera vendu aux époux Fantini-Bezagu en 1966, puis à la famille Blanc en 1981. C'est à Georges Blanc, 60 ans, qu'il échoit de mettre la clef sous la porte et de licencier ses vingt-huit collaborateurs pour cause de loyer devenu extravagant, quadruplé tout à trac en 2012, passant à 800 000 euros annuels. La Librairie Castéla a donc fermé ses portes le 17 février 2012, après quatre-vingt quinze années d’une présence incontournable…
• Françoise Fabian est discrètement à l’affiche du très beau film : « Le prénom » d’Alexandre de La Patellière et de Matthieu Delaporte adapté de la pièce de théâtre éponyme et très prochainement du premier long-métrage « Post-partum » de Delphine Noels, œuvre très attendue de la réalisatrice belge surdouée, née en 1973.
1 commentaires :
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